Tandis que la nuit tombe, Ivan Locke, charismatique directeur d'un chantier de construction à Birmingham, informe son équipe d'ouvriers qu'ils devront lancer dès le lendemain un nouvel et immense projet. Sauf que Locke ne sera pas présent. Celui-ci part en effet en voiture pour Londres afin de rejoindre Bethan, une femme avec laquelle il a eu une aventure et qui est sur le point de mettre au monde leur enfant, qu'il ne compte pas renier comme le fit jadis son père avec lui. Constamment au téléphone, Locke va alors tenter de se sortir du pétrin dans lequel il se trouve, en soutenant ses collègues peu confiants face au nouveau chantier, en tranquillisant son patron, en révélant toute la vérité à sa femme tout en demeurant auprès de Bethan...
Connu surtout pour ses brillants scénarios, notamment ceux de
Dirty Pretty Things et de Eastern Promises, l'Anglais
Steven Knight n'avait jusque là à son actif qu'un seul film derrière la caméra,
Hummingbird -sorti en France sous le nom de Crazy Joe-, un actionner
buriné avec Jason Statham. De quoi faire tiquer les curieux à la vue de son nom
aux commandes de ce ''Locke'' présenté en grandes pompes dans une
pléiade de festivals internationaux. La surprise n'en est pourtant que
meilleure puisque son film est aux antipodes de son prédécesseur: un Ovni
filmique et un drame intimiste d'une rare maîtrise.
Avec son pitch des plus intriguants -un homme seul dans sa
voiture, luttant contre la montre, doit régler un tas de problèmes qui lui
tombent dessus avec comme seul allié son téléphone portable-, Locke vaut avant
tout pour ses qualités scénaristiques et sur ce terrain là, Steven Knight n'a
pas de leçons à recevoir. Le réalisateur réussit avec une économie de moyens
admirable à nous embarquer pile dans le siège passager, en route avec son
personnage. A la confusion du début se succèdent au fil des kilomètres toutes
les informations nécessaires à la compréhension de l'action et des enjeux et
surtout nous en apprenons plus sur Ivan Locke, sa vie, son passé et ses
priorités. Locke apparaît alors dans toute sa complexité,
un homme de principes, compétent et attentionné et qui se trouve confronté
à des choix radicaux qu'il devra assumer au péril même de son travail et de sa
vie jusque là bien rangée.
Comment filme-t-on l'histoire d'un homme seul derrière son volant
pendant 85 minutes et qui interagit avec l'extérieur uniquement via son mobile
sans montrer aucun autre vis-à-vis. Knight choisit d'y répondre aussi
simplement que possible en assumant pleinement le défi: Sa caméra ne quittera
que très rarement le visage de son héros, le temps de s'attarder ici ou là sur
quelques détails: des voyants de vitesse, un trafic dense, des poteaux
électriques à la lumière blafarde... des détails sans grande importance mais
qui constituent l'univers immédiat du personnage, dans lequel tout se passe et
tout évolue. La route en elle même revêt une dimension symbolique évidente:
celle du voyage à accomplir et de la quête vers un avenir incertain mais d’ores
et déjà assumé. Lorsque Locke monte dans son SUV au début du film, il est un
homme comblé, avec un job gratifiant, une famille en or et un bel avenir, alors
qu'en cours de route, tous ces acquis sont compromis et certains ne tiendront
pas jusqu'à l'arrivée -Pas étonnant que la plaque d'immatriculation de son
véhicule affiche ''ADIO".
Impossible de ne pas louer au passage la prestation intense et
brillante de Tom Hardy, un choix payant de la part du réalisateur qui s'inscrit
très bien dans l'optique de ce drame intimiste - Feu Tony Scott aurait pris un
Denzell Washington et aurait filmé ça à 280 Km/h sous 126 angles-. La prouesse
était ardue et Hardy -excusez le jeu de mots à deux sous- s'en sort avec les
honneurs. Tout ce qu'il faut de retenue et de nuance avec un jeu exclusivement
centré sur le visage sans pour autant sombrer dans le ''Regardez-moi, je la
joue Actor's Studio". Il faut au moins ça pour passer 1h30 en sa seule
compagnie et ne pas sombrer dans l'ennui en cours de route: Pari réussi. On ne
saura jamais s'il a eu tort ou raison -le scénario a le bon goût de
ne pas donner de réponses définitives- mais on s'en fout pas mal car comme le
dit Philippe Pollet-Villard, ce qui compte ce n'est pas la destination mais le
voyage. Et à ce titre, Locke en est une très belle illustration.
Locke est donc un drame intimiste singulier qui bénéficie d'une
réalisation élégante et une interprétation quatre étoiles par un Tom Hardy
étonnant de justesse et qui confirme tout le bien qu'on pense de lui. A n'en
pas douter l'un des meilleurs films de l'année 2014.
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