Dès le premier épisode, sorti en 2002 et
réalisé par Doug Liman, le nom de Jason
Bourne a été rattaché au
renouveau du film d'espionnage, là où l'autre espion star, James Bond, sombrait
dans le grand n'importe quoi. Il faudra pourtant attendre l'arrivée de Paul
Greengrass pour que la saga Bourne prenne son envol et dépoussière en
profondeur le film d'action. Sur le fond d'abord : sujets plus en phase avec
l'actualité et les peurs contemporaines, mais aussi sur la forme, Greengrass
apportant tout son bagage documentaire pour filmer ses métrages d'une façon
proche du cinéma vérité, caméra à l'épaule, collant au plus près de ses
acteurs. Un style qui aura fait des émules, copié à tour de bras et exacerbé -
y compris par Greengrass lui même - jusqu'à l'abstraction. Après un troisième
épisode qui avait tout dit et la tentative - ratée, mais intéressante - d'un
spin-off, la série semblait partie pour un repos mérité. La surprise et
l'excitation qu'a provoqué l'annonce du retour du duo Damon / Greengrass pour
un nouvel opus auront pourtant vite fait de laisser place à la perplexité quant
au résultat final, voire à la déception pure et simple.
Que l'on aime ou
pas, la saga Bourne a révolutionné le film d'action, genre moribond et très mal
en point à l’orée des années 2000. Trusté en grande partie par les
hong-kongeries américanisées - Matrix pour le meilleur, Roméo Doit Mourir, Cradle 2 the Grave, The One pour le pire -, l'actioner est en bien
piètre état et le shoot d'adrénaline administré par Grenngrass se révèle
salvateur. Il change la donne de façon tellement drastique que même le mythique
James Bond devra se plier aux nouveaux codes établis et amorcer un reboot plus
badass avec l'ère Daniel Craig. Seulement voilà, le dernier volet de la
trilogie, La Vengeance dans la
Peau, remonte déjà à presque dix ans. À l'échelle hollywoodienne, autant dire
une éternité. Entre temps, la recette a été pillée à tort et à travers et l'on
ne compte plus la ribambelle de contrefaçons qui ont proliféré comme du
chiendent dans un potager et dont la laideur formelle est presque devenue
la norme. Le premier défi de ce nouvel opus est donc celui-ci : recréer
l'excitation des anciens épisodes et apporter du sang neuf du point de vue
plastique. C'est aussi le premier échec de Jason
Bourne : son incapacité
totale à offrir quoi que ce soit de nouveau ou un tant soit peu original.
Jason Bourne opère comme un quasi reboot, cachant à
peine ses intentions opportunistes de nous resservir une nouvelle trilogie.
Pourquoi pas après tout, nous avons eu droit à bien pire dans le genre suites
inutiles. Le hic, c'est qu'au lieu d'adopter - au moins - un nouvel angle de
tir, les scénaristes nous resservent exactement et sans sourciller la même
soupe, probablement de peur de changer une formule qui a déjà fait ses preuves.
Or, ce n'est pas blasphémer que de le dire : cette formule s'était vite usée
jusqu'à la corde et atteignait ses limites au bout de trois films seulement,
chacun plus faible que le précédent et aboutissant à un troisième volet poussif
mais heureusement fort en adrénaline. Pour s'en convaincre, il faut passer l'épreuve
de la première partie de Jason
Bourne, où l'ennui se la dispute à l'agacement pur et simple, alors que se
déroulent sous nos yeux les sempiternels flashback en délavé - censés nous
remettre dans le bain - et nous assènent un retcon complètement débile pour ne
pas dire contraire à tout ce que la première trilogie avait bâti. Le plus dur
sera sans conteste la nécessité de se farcir une énième fois ces scènes en
salle(s) de contrôle avec une équipe de cracks qui fixent plein de moniteurs en
se triturant les cravates et se faisant engueuler par le boss qui ne demande
qu'une chose : « Retrouvez-moi Bourne ! ». Du vu et du revu, partout, de la
trilogie initiale à la toute dernière production DTV pourrave de chez Millenium. Autre redondance
gonflante, la structure narrative immuable : l'ex black' op est encore la cible
d'un tueur de choc commandité par une figure paternelle de la CIA qui veut se
débarrasser de cet enfant illégitime et encombrant pour pouvoir mettre à
exécution ses plans très anticonstitutionnels pour la sauvegarde de la sécurité
nationale. Dans sa fuite, il sera aidé par une alliée en interne variablement
bienveillante et, à la fin, la justice triomphe. Le casting sera bien
évidemment choisi en accord. Nous reviendrons sur ce point plus loin.
Il est franchement
déroutant de voir avec quelle facilité ce Jason Bourne succombe aux codes de la suite vulgos. Dès
les premières minutes, Greengrass, qui n'a visiblement pas que ça à foutre,
décide d'exploser l'enjeu premier de son film, à savoir les retrouvailles avec
Bourne, dans une intro expéditive en mode Rambo III. Pas question de faire monter le
suspense. Vous le voulez ? Il est là. Ce sera du coup l'occasion de mesurer
l'évolution du personnage Jason Bourne depuis sa première apparition en 2002. Au
quidam amnésique dépassé par les événements et en quête de réponses s'est
peu à peu substitué un espion létal et mutique, puis dans cette cinquième
mouture, à une sorte de machine de mort totalement hermétique qui terrasse de
l'arménien d'un simple coup de poing. On ne le dit pas assez, mais ce qui
rendait le personnage attachant c'était le fait que ses prouesses étaient aussi
impressionnantes pour lui qu'elles ne l'étaient pour nous. Au bout du deuxième
film, elles sont déjà devenues de plus en plus banales. Greengrass tente bien
de donner une dimension humaine à son héros, mais la tentative est d'un
ridicule consommé : une petite crise d'angoisse après un fight clandestin et
personne n'en reparlera plus. On est loin de la quête de repentir qui transcendait
celle de la vengeance dans La
Mort dans la Peau. Banales sont aussi toutes les scènes d'action de ce
cinquième volet, une prouesse en soi. Des innombrables - et interminables -
courses poursuites aux combats mano
a mano, nous sommes en terrain ultra balisé et convenu. Un comble pour
Greengrass dont la réalisation est devenue presque fonctionnelle. Difficile de
s'empêcher de bailler devant les set pieces que l'on nous assène toutes les
vingt minutes et difficile de ne pas ricaner gentiment - pour rester poli -
devant ce climax d'une ringardise affligeante qui se déroule pépère jusqu'à la
fin. Et au milieu de ce naufrage, les acteurs n'en mènent pas large, Matt Damon
en tête, ne desserrant pas les dents une seconde, les cernes épaisses, tout
comme celles de Tommy Lee Jones et Vincent Cassel qui se demandent bien ce
qu'ils foutent ici. Difficile de déterminer qui est le plus à plaindre entre
ces deux derniers - oui parce que pour Damon, le gros chèque à la clé le
disqualifie d'office - : Jones qui se contente presque de faire de la
figuration, coincé dans un costard visiblement trop serré, ou Cassel, qui perd
son temps et gâche son talent dans un énième rôle de bad guy et n'arrive pas à
la cheville de celui de Karl Urban qui avait pourtant deux fois moins de dialogues
que lui dans le deuxième opus. Du côté des co-stars féminines, ce n'est guère
mieux : les retrouvailles avec la trop rare Julia Stiles - seul lien avec la
trilogie précédente - seront écourtées de façon brutale. Seule Alicia Vikander
semble tirer son épingle du jeu grâce à un personnage ambigu mais dont
l'écriture est grossière et qui sera évidemment appelée à revenir dans de
futurs épisodes. Encore faut-il avoir quelque chose à raconter à l'avenir...
Suite bancale qui
se contente de reprendre ad nauséam une recette éculée sans une once
d'imagination, Jason Bourne n'a rien d'autre à offrir que du
vulgaire fan service qui ne fera pas illusion longtemps. Scénario cousu de fil
blanc, réalisation impersonnelle et un casting de gueules lessivées, pas de
doute : le retour de Bourne est complètement raté.
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